Le miroir

Julia Kelly*

Un matin, je me suis réveillée : la journée s’annonçait magnifique. Un de ces matins qui vous donne envie d’aller courir dans l’herbe gorgée de rosée et de vous prélasser dans les premiers rayons du soleil. Mais ce jour-là, je n’ai jeté qu’un coup d’œil furtif à travers la fenêtre. Je n’ai même pas fait attention à cette image de perfection et je me suis immédiatement dirigée vers mon miroir : l’image qu’il m’a renvoyée m’a tout de suite déplu !

Cela faisait des mois que j’avais un miroir à portée de la main. Je ne me souviens plus où je l’ai trouvé, mais un jour je me suis regardée dedans et, à partir de ce jour, je n’arrivais plus à m’en détacher. Je ne faisais plus attention aux choses qui m’entouraient. Mon miroir était toujours là, en première ligne, me renvoyant mon image et me rappelant constamment toutes mes imperfections. L’image était toujours décevante ; on aurait dit que le miroir prenait un malin plaisir à me montrer tous mes échecs, tout ce qui n’allait pas, tout ce qui me faisait sentir inférieure. Sa présence me harcelait.

Pourtant ce matin-là, la journée s’annonçait idéale : j’aurais pu rire avec mes amis, sourire aux enfants, aider quelqu’un — on peut être heureux de tellement de façons ! Mais non, j’étais comme obsédée par le reflet du miroir ! Je ne voyais rien d’autre, j’étais confinée à mon petit monde qui se limitait à moi et mon miroir !

Dehors, le soleil brillait, mais dans ma tête, des nuages sombres et menaçants planaient à l’horizon. Tout ce qui m’arrivait semblait confirmer que personne ne m’aimait ni ne s’intéressait à moi. D’ailleurs, un coup d’œil à mon miroir suffisait à me persuader qu’il n’y avait pas grand-chose à aimer chez moi ! À l’évidence, je n’étais pas digne d’être heureuse, encore moins d’être aimée ! Assise dans mon petit coin, occupée à me regarder dans mon miroir, j’observais comme une étrangère le bonheur et les éclats de rire des autres : Comment font-ils pour être heureux ? Ils font comme si je n’existais pas ! Je suis malheureuse comme les pierres, et on dirait qu’ils ne s’en rendent même pas compte!

Chaque fois que je tentais de m’aventurer en dehors de mon petit monde, mon miroir me rappelait haut et fort que ça ne servirait à rien, que c’était sans espoir ! Puis il me renvoyait mon image, et je n’arrivais pas à en détacher mon regard ; au contraire, je m’abîmais dans le découragement et la déprime sans me soucier le moins du monde de ce qui m’entourait.

Mais il y a quelques semaines, j’ai eu une révélation. Je me suis dit: tu n’as qu’à recouvrir le miroir ! Bien sûr que tu as des défauts ! Tu ne seras jamais parfaite, tu feras toujours des erreurs. Et après tout, qu’est ce que ça peut faire ? Tu ne peux pas vivre en refusant tout espoir

de bonheur uniquement parce que tu ne possèdes pas toutes les qualités que tu voudrais avoir ! Arrête de ne penser qu’à toi et penche-toi un peu sur le sort des autres. Oublie le miroir, tu verras que tu seras beaucoup plus heureuse !

Ça n’a pas été facile, mais j’ai fini par recouvrir le miroir. Au début, je me sentais anxieuse sans lui, toute nue, vulnérable. J’étais mal à l’aise et je ne croyais pas que les gens puissent m’accepter comme j’étais, avec tous mes défauts et toutes mes fautes. Mais bien vite, je me suis rendue compte que plus j’étais naturelle et plus je me tournais vers les autres, plus j’étais heureuse. Même si au début, ce n’était pas facile. Les nuages qui planaient constamment au-dessus de moi disparurent pour faire place à la chaleur des rayons de soleil et à la paix de l’esprit.

Le miroir est toujours là. Il ne va pas disparaître, mais je l’ai mis de côté. Il y a toujours le risque que je le reprenne et que je fasse une rechute. Je pourrais très bien retomber dans l’état morbide de dépression et d’introversion où j’étais. Mais chaque fois que je suis tentée de jeter un coup d’œil au miroir, je me rappelle que je suis beaucoup plus heureuse, maintenant que j’ai accepté mes imperfections et que j’ai résolu de ne pas m’en faire. Je ne serai jamais tout à fait comme je voudrais être, mais j’ai beaucoup à apporter aux autres. Et cela, je ne peux pas le faire si je passe mon temps à me dévisager dans le miroir.

Ce matin, quand je me suis réveillée, une pluie froide et battante tombait du ciel. Le tonnerre grondait et d’épais nuages cachaient le soleil. Dehors, la grisaille du matin enveloppait le paysage, mais, dans mon cœur, le soleil brillait sur l’azur des cieux ! Et ce fut pour moi une journée magnifique !

* Julia Kelly est une bénévole à plein temps de la Famille Internationale aux États-unis

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